2021, le siècle sera numérique ou ne sera pas. Et pour nous, pédagogues en tous genres, femmes et hommes orchestres qui manions tant d’instruments au quotidien pour mener au mieux nos missions, la strate numérique s’est posée sur toutes les autres, en transformant potentiellement toutes les tonalités. Promesses chronophages de nouvelles perspectives, il va falloir continuer à apprendre, à découvrir et à innover. Profs comme élèves, élèves comme profs, quitte à créer, profitons d’être tous pris ensemble dans le même siècle numérique pour écrire cette nouvelle symphonie. Partageons nos instruments et orchestrons-nous en groupe, en bon pédagogues.

Dans ma pratique personnelle, professeur de langue, je tente ainsi de proposer une facette numérique et ouverte à la classe qui permet aux élèves de s’approprier l’apprentissage et de lancer des perspectives inattendues, à travers des partages et liens vers d’autres outils disponibles en ligne. La création pour chaque groupe d’un mur Padlet ouvert pose les bases d’une d’un espace collaboratif inclusif et horizontal, de partages, de discussions et d’entraide. Si des utilisations variées des réseaux sociaux naissent de posts et commentaires sur le mur, ouvrant à des activités pédagogiques inédites, ou si des documents collaboratifs tels Framapad ou Framaform apparaissent comme des supports à la prise en main active du cours et de ses événements, l’application Quizlet est un exemple intéressant d’appropriation assez spontanée de l’apprentissage par les élèves.

Concrètement, Quizlet commence par appeler à une production de listes variées en lien avec le cours (vocabulaire, conjugaison, thèmes culturels), récapitulatif ascendant des acquis que de petits groupes peuvent faire avant de proposer ensuite à l’ensemble du collectif ses créations. La figure enseignante reste en permanence accompagnatrice pour valider et légitimer les propositions. L’intérêt de l’application vient surtout ensuite des modalités ludiques de révision des listes, à travers des quiz, des jeux d’association ou de réécriture, qui peuvent encore une fois se faire en petits groupes mais qui sont suivis d’apprentissages individuels des élèves sur leur smartphone, lorsque l’envie leur en prend. D’une part, ayant personnellement forgé ces listes, leur investissement s’avère bien plus important et suivi sur le long terme. Ces listes étant partagées au groupe, il s’opère également une stimulation collective qui dépasse la simple utilisation numérique, les références aux connaissances a priori partagées apparaissant lors d’autres activités, débats, compréhensions ou exercices. D’autre part, les listes n’étant jamais terminées ou fermées, elles évoluent, se diversifient et se nuancent avec le temps, sans jamais être complètement abandonnées. Indéniablement, on perçoit ici des avantages aussi bien de l’outil numérique que de l’aspect collaboratif, d’autant plus intéressant dans une perspective d’autonomisation ou de pouvoir d’agir partagé. Professeurs comme élèves apprennent ensemble et se partagent aussi bien le plaisir que le travail de construction et de formation.

Toutefois, il est notable que le pouvoir d’agir est limité aux propositions de l’application. Celle-ci ne laisse pas la possibilité de créer ses propres formes ludiques que l’innovation collaborative d’un groupe-classe pourrait pourtant être amenée à suggérer. Il semble important de rester conscient d’un nouveau cadre qui s’installe, et d’une forme finale d’apprentissage « quantifiable » qui ne peut se suffire à elle-même. En classe, j’ai aussi pu observer un décalage d’implication entre des élèves plus à l’aise avec les outils numériques et d’autres prenant leur distance sur l’objet, distance souvent conséquente d’une fracture numérique pas forcément assez mise en évidence. Comme le rappelait déjà Rizza en 2006, « aux marges de la génération Internet, subsiste ainsi une sorte de caste d’exclus qui semble être vouée à l’échec et à la pauvreté dans une société désormais régie par une information et un savoir auxquels elle n’a pas accès. » En bon orchestrateur, il faut rester alerte visions diverses qui émergent pour les inclure à la dynamique de classe, aux relations entre les individus et éviter une nouvelle hiérarchisation liée à des compétences et des appétences techniques.

À travers cette activité, on voit donc que le numérique ouvre de nouvelles voies stimulantes à la pédagogie, bien qu’il ait aussi ses limites et qu’il impose alors de nouvelles contraintes. Tout en restant critique et réflexif vis-à-vis de ses potentialités, il est aujourd’hui nécessaire de s’en saisir au mieux. « Une ingénierie fondée sur la création collaborative propose de faire vivre des expériences de création collaborative qui alimentent une pensée critique et créative. » (Springer, 2018). Parvenir à s’en saisir ensemble, dans une perspective collaborative, paraît alors tout aussi intéressant du point de vue professionnel que de celui de l’apprentissage, permettant à toutes les parties de s’approprier la construction et les évolutions du groupe-classe, dans une perspective didactique portée sur le faire-faire et l’autonomisation, développant les compétences organisationnelles et stratégiques des participants, tout en s’appuyant d’autre part sur l’intelligence collective pour faire évoluer les pratiques et les compétences socio-culturelles, techniques et pragmatiques.

Rizza, C. (2006). La fracture numérique, paradoxe de la génération Internet. Hermès, La Revue, 45(2), 25-32. https://doi.org/10.4267/2042/24031

Springer, C. (2018). Parcours autour de la notion d’apprentissage collaboratif : didactique des langues et numériques. Revue Internationale de Pédagogie de l’Enseignement Supérieur, 34(2). https://doi.org/10.4000/ripes.1336